On s’est mise en route bien tard samedi après-midi pour San Salvador. Après avoir regardé Le bonheur est dans le pré (un besoin de se replonger dans notre douce France ?), on s’est enfin décidé à se bouger nonchalamment les fesses, c’est le rythme de Suchitoto s’acquiert vite…
Vers 16h donc, le casse-tête que nous turlupine depuis quelques jours devient un problème à résoudre : on a besoin d’un cadeau de mariage, mais quoi ? On opte pour un vase importé du Guatemala acheté à l’étal de la concertation des femmes sur le mini-riquiqui-marché-de-Suchi. Unique problème persistant, l’emballage qui n’est pas digne d’un cadeau de mariage, mais on trouvera une combine plus tard pour le remettre proprement.
Voilà, nous sommes dans le bus qui nous mène à SS. Alors pour ceux qui me suivent depuis le début au Vietnam, vous connaissez ma capacité à m’étendre sur des paragraphes entiers sur les formidables modes de transports de pays qui ne sont pas la France… Même le Portugal, j’aurais pu en écrire un roman, c’est une constante chez moi. Et forcément, vous n’allez pas échapper au paragraphe sur la ligne de bus Suchi-SS (dans un premier temps, j’en aurais encore beaucoup à écrire par la suite…).
Les bus sons colorés (des photos un jour à l’appui) voir customisés pour ceux de la capitale, mais ne nous perdons pas dans nos propos), sans doute pour faire peur aux vaches sur la route. Non, j’exagère un peu, contrairement à l’Inde et à sa tripotée de bestioles-squatteuses-de-route, ici, ce n’est pas trop l’anarchie, les vaches ne sont pas sacrées et sont gardées dans des vrais enclos, parce qu’elles valent de l’argent. Donc le bus coloré n’est pas utile pour effrayer la vache. Alors pourquoi tant de couleur ? J’aime à penser que c’est pour mettre un peu de gaité dans le paysage… A l’intérieur, des sièges violets et vert-pomme à l’aller, une banquette marron plus classique au retour. A vrai dire, sur le retour, je n’aurais pas grand-chose à dire, j’ai dormi tout le long (notez tout de même que pour parvenir à roupiller dans un bus local dans des lacets, il faut être sacrément bien dans sa tête et se sentir intégré, tout cela est donc très bon signe…) Pour revenir dans le vif d sujet, la customisation du bus : sur le tableau de bord, on trouve des « que Dieu te garde » en tout genre et des fanions religieux qui exhibent la foi locale. Bien, bien, et ma jeune compagne de banquette lit la Bible… Forcément ça surprend, mais on apprend aussi à respecter ces marques de croyance exubérantes… Sur la conduite, on tend vers la constante milieu rural d’un pays qui n’est pas la France, c'est-à-dire un mixe de dépassement sauvage, de côtes que le bus peine parfois à monter, des arrêts à la demande (tous les 10 mètres dans les passages de bourgs…). D’un point de vue sonore, un crieur de bus annonce le lieu où on est, s’il faut descendre, s’il faut se préparer, et puis, on n’oublie pas le fond sonore, une vieille cassette (ou la radio) qui a le mérite d’être de meilleure goût au Salvador que dans toute l’Asie du sud-est… Oublié le karaoké intégré dans le bus, les rythmes latinos sont tout de même plus engageants !
Arrivés à SS, taxi à l’appui, nous rejoignons l’équipe du mariage. J’enfile ma petite robe noire sur une peau toute poisseuse de sueur, de vent et de terre (oui, le bus roule fenêtre ouverte naturellement…), raaa, j’adore être une roots ! Une petite messe et des brouettes d’engagements matrimoniaux en espagnol plus tard, on commence à faire la connaissance de quelques personnages, c’est le cas de le dire. Parmi eux, Pierre, l’entrepreneur français qui construit des stations d’épuration au Guatemala, et avec qui nous devons travailler. La cinquantaine complètement allumée, mais la présence d’esprit de nous inviter très vite dans sa maison au Guatemala, sur les bords du Lac Atitlan, une des plus belles régions : nous irons voir ses stations d’épuration, une virée très professionnelle somme toute ! (sur la droite, le marié)
Pour le dîner, on se retrouve dans une espèce de club, un cadre assez joli, mais la soirée s’annonce plutôt calme ; à notre arrivée, de grande tablée de salvadoriens sont déjà constituées, ils sont prêts à manger. Il faudra attendre un peu la fin d’un petit concert de musique locale traditionnelle, sur l’amour, les femmes, le mariage, que des choses d’actualités somme toute….
On fait la connaissance de Magali, qui est une coopérante d’Apoyo Urbano basée sur SS. Elle est venue accompagnée d’amis salvadoriens de notre âge avec qui on a passé la soirée, des petits gars bien sympathiques. Alors voilà, pour qu’un mariage dans un pays comme ça soit un vrai de vrai, il fallait la vraie spécialité du coin : une bonne coupure de courant qui a duré une bonne heure, sans générateur pour combler le malheur, mais plutôt quelques bougies et des bouteilles de rhum et de vodka. Un mariage local quoi… Bon c’est triste, ça a fait pleurer la mariée, mais nous a bien fait marrer nous… (sur la gauche, mes deux compagnons de maison et de travail, et la très jolie Yamilet, la mariée)
Sur le coup de deux heures, on s’est mis en route pour la maison d’un néerlandais où on pensait finir la soirée, et puis en fait, on s’est assez vite, le trajet en voiture et les verres de rhum nous ayant un peu achevés… On a improvisé un squat très confortable, dans une petite maison de banlieue. Seul point noir au tableau, tous ces expatriés vivent bien dans des « Gated Communities », en fait je n’en avais jamais vraiment vu, et c’est juste triste. Même si la ségrégation spatiale est une réalité dans tous les pays, même dans notre douce France… Je savoure alors ma chance d’être basée à Suchi, et ma petite maison sale et sans mur ne m’en plait que plus…
Au réveil, pas de gueule de bois, et on s’achemine donc rapidement vers un centre commercial pour un petit dèj’ local : dans mon assiette, une purée de haricot rouge (je sais, ça donne pas envie, mais c’est bon) appelé frijoles, une omelette, des petites bananes cuites et une sorte de fromage bizarre. J’ai aussi goûté à la rosa de Jamaïca, la fleur d’hibiscus comme on l’appelle ici, en jus de fruit, c’est délicieux, raffiné, acide et fruité/sucré en même temps, enfin une réussite culinaire locale, formidable !
Après ce petit déj’ gargantuesque, accompagnée de Ties, le néerlandais, et de Aline et Morgiane, deux françaises installées ici (et de mes deux colloc bien sûr !), on se décide à faire nos gros touristes. Avant touts, on fait une virée dans un vrai supermarché, histoire de faire le plein de produits rares : confiture, bouteille de vin, nutella, pain, on n’est pas des sales gosses de français pour rien… Puis direction le centre ville de SS, l’Eglise Salvador El Mundo et le tombeau de Monseigneur Roméro, l’Archevêque Salvadorien très connu (à gauche). On fait le tour de deux places centrales, honnêtement, c’est moche. Les rues sont sales, les murs sont colorés mais fades et vieux, et ça ne parvient même pas à donner un peu de gaité à l’univers. De nombreux hommes qui végètent et boivent de l’alcool, on en croise même un décharné qui sniffe. Autant vous dire que je ne me surprend pas en comparant, avant, ce que j’ai connu, et maintenant, ce que je voudrais ne pas voir. Un jeune joue de la guitare sur la place sur laquelle on s’attarde, mais je n’arrive pas vraiment à trouver ça sympathique. Une fois encore je me dis « quelle chance de vivre à Suchi, même si j’adore l’effervescence urbaine, je ne voudrais pas vivre là ». Je reviens dans ma tête sur mes expériences passées, et je me demande pourquoi l’Asie était si différente. Si j’ai croisé des hommes décharnés au Cambodge, ce fut rare au Vietnam et au Laos. Régimes politiques opposés, guerres différentes qui n’ont pas divisé les pays de la même manière, volonté actuelle de tirer le pays et ses hommes vers le haut, je ne suis pas bien douée pour ce genre d’analyse et ça me déçoit, les raisons restent sombre.
On évolue toute l’après-midi dans un centre ville-marché qui n’est qu’un énorme espace de vente. On voit des trucs bizarres, dignes du serpent et du scorpion dans l’alcool : des herbes magiques, une vieille qui gave son perroquet et lui parle, un petit joyau (des prunes pour un clafoutis), des mangues à gogo, des poussins multicolores qui restent un mystère. Mais pas un brin d’artisanat local, il n’y a pas de tourisme par ici. Des rues tantôt étroites sombres et sales, tantôt larges en engorgées de transports en commun polluants, des rues bruyantes de vendeurs de musique piratée qui sortent des baffes de compet’ pour arroser les voisins. Avoir vu tout ça, je ne dirai pas que ça a été un plaisir, mais je suis contente de l’avoir fait. Mais il faut passer par là pour comprendre le reste. C’est usant, j’ai de la peine pour ses gens qui vivent dans un cadre de vie aussi pourri, il faut bien le dire, et je me redis une dernière fois, « Suchitoto, je suis bénie… » Je me souviens de mes petites maisons colorés vietnamiennes, de ces visages au sourire éternel, de cette effervescence joyeuse et stimulante que je croyais être une constante dans les villes des pays en développement.
Voilà, j’aurais vu une fois San Salvador, je ne crois pas avoir envie d’y retourner de si tôt, j’avoue que ça a été un peu un choc. Retenons du WE que j’ai quand même rencontré de jeunes salvadoriens qui sont plein de vie ; que ici à Suchi, les gens n’ont pas l’air triste ; que les élections l’an prochain peuvent être un espoir pour la jeunesse (actuel gouvernement = quasi extrême droite, tournée vers le business avec les US, parti d’opposition, le FMNL, parti au pouvoir à Suchi et qui revendique une politique davantage tournée vers les intérêts des hommes…).
Ce fut un WE plein d’enseignement, mais le clou, c’est le retour à Suchi, et ma première pensée quand Julien me tape l’épaule pour me réveiller : « de retour à la maison, que ça fait du bien…. » Formidable, je me sens chez moi, ça aura pris à peine quinze jours.